La pluie s’abattait doucement, à rythme régulier, sur les carreaux de la fenêtre de ma chambre. La lumière grise du matin éclairait à peine mon visage, me laissant péniblement dans un semi rêve à peine dérangeant. La chaleur de mes draps me donnait envie de replonger immédiatement dans un sommeil plus profond, mais mon réveil me rappela à l’ordre pour la troisième fois. Tout en maugréant dans mon coussin, j’appuyais à tâtons sur les bords de la table de chevet pour éteindre cette atroce sonnerie.

Je me relevais péniblement sur le bord de mon lit, nu comme un vers. Frottant mes yeux gonflés par un manque de sommeil persistant, je pris mon smartphone entre mes mains et fit glisser le fil d’actualité sans vraiment lire les annonces. Une flopée de messages venant de Rose et d’une certaine Alice m’agressait la vue. Trop tôt pour me plonger dedans. Un bon café me permettrait de me mettre d’aplomb pour cette journée particulièrement déprimante. Tout en sirotant cette saveur exquise venant tout droit du torréfacteur du coin, j’admirais le rideau de pluie qui s’abattait sur New York. Les gens disaient que l’algorithme du dôme essayait de reproduire un climat connu par nos ancêtres. Personnellement j’aurai préféré qu’ils nous mettent du soleil en continu avec un ciel bleu azur dégagé de nuage. Au moins on n’aurait pas le moral miné dès le matin. Bref, je pris une douche bien chaude, et me vêtis d’une chemise bleu ciel, d’un chino marron et d’une paire de chaussure en cuir. J’avais bonne allure dans ce miroir en me souriant bêtement à moi même.

Beau gosse mais toujours célibataire ! J’attrapais mon sac de cours avant de filer à la fac. J’étais déjà en retard et plus les jours passaient, moins l’envie de rejoindre les bancs de la fac m’enchantaient. Pourtant Dieu seul sait que la bio-chimie était un domaine ultra intéressant. Je n’avais pas fait tout ce chemin pour me foirer en beauté à la fin. Je pris le métro pour éviter d’arriver trempé en cours. Une fois la journée touchant à sa fin et que le ciel avait fini de pleurer toutes les larmes de son corps, je retournais chez moi pour étudier. Mais rapidement mon smartphone fut plus attractif que mes cours. Rose me demandait de passer chez elle pour qu’on parle de cette fameuse Alice. Cette Alice me demandait qu’on se rappelle pour discuter de ce qui s’était passé la veille entre nous. Pourtant, je ne me rappelais de rien. Juste qu’il avait été difficile de se lever ce matin.

Heureusement pour moi, je fus sauvé par mon cher ami Dean. Son texto était assez succin et clair.

JE SUIS LÀ DANS 5MIN. PRÉPARE LE KAF

Ok… Je n’eus pas le temps de lui répondre, qu’il toqua à ma porte. J’ouvris en grand, large sourire sur mon visage.

« Dean ! Le café n’est pas prêt du tout. »

Il pleuvait des cordes. Sale temps. Même si le moral n'était pas là, il n'était pas nécessaire que les scientifiques météorologiques s'amusent à me le miner encore plus. Et dire que j'allais bosser pour eux. Enfin, pour le maintient du dôme et de son illusion. Parfois ça me remettait en question. Qu'est-ce que je raconte ? Je me remets en question constamment. Mon existence même est à remettre en cause. Pourquoi j'existe ? Pourquoi ai-je ce poids sur les épaules ? Ma psychologue me dit que j'en fait des montagnes pour pas grand chose. Mais elle ne vit pas au sein de ma famille ... même si j'ai quitté le cocon familiale et que je suis indépendant depuis quelques années maintenant, je dépends toujours de mon père. C'est lui qui finance ma vie au centime près. Si j'avais l'ambition de me débrouiller par moi même, je baisserai mon niveau de vie d'un cran. Voire d'avantage ...

Parfois j'avais envie de tout foutre en l'air, de me barrer loin d'ici. Mais pour aller où ? La ville était gigantesque et permettait encore aujourd'hui de passer inconnito. Mais elle restait une identité à elle même. Et c'est ça dont j'en avais marre. C'est que tous les problèmes tournaient autour du dôme et de sa structure. La fondation même de la protection de l'espèce humaine. J'aimais croire qu'il existait d'autres dôme dans le monde, ou même aux Etats Unis. New York ne devait pas être la seule ville a avoir résisté au chaos qui s'était abattu sur la Terre ... Mais je n'en savais rien et aucune information à ce sujet n'était disponible. Même mon père ne semblait pas être au courant, lui qui est plutôt proche du Concile des 13.

Il fallait que je me vide la tête et que je souffle un coup. Quoi de mieux que d'aller rendre une petite visite à Liam ? Depuis notre soirée chez Alex, on a bien accroché tous les deux. Je ne dirais pas qu'un lien solide s'est tissé entre nous, mais j'aime bien sa compagnie. Je pense que c'est réciproque. Du moins, je l'espère. Je décide de sortir de ma morosité et de lui envoyer un texto en chemin. J'ai toujours eu la salle habitude d'informer ma venue au dernier moment. Quand je dis ça, c'est que je suis déjà en bas de l'immeuble ... rien à faire de savoir s'il est dispo ou pas. Je monte.

Arrivé devant sa porte, je tambourine avec un certain sadisme jouissif. Il est tôt le matin et j'espère le faire bondir de son lit. J'imaginais bien la scène et ça me faisait sourire. Puis la porte s'ouvrit brusquement. Il se tenait là, devant moi, bien habillé et bien coiffé. Merde, j'avais raté mon coup ...

Après l'avoir serré dans mes bras, je m'écartais et fronçais les sourcils comme pour indiquer un certain reproche concernant sa négligence.

- Et c'est comme ça qu'on reçoit ses amis ? Il faut encore que je t'apprenne les bonnes manières jeune homme ! Il faut toujours que le café soit prêt, dans n'importe quelle circonstance.

Je passais le pas de la porte et entrais dans son appartement. Ce n'était pas bien grand et pas très luxueux, mais assez sympa dans l'ensemble. J'inspectais la déco et faisait ma petite analyse tout seul.

- Où est ta cafetière que je t'apprenne l'art de bien recevoir ?

Sans attendre sa réponse, je me dirigeais vers sa minuscule cuisine pour y faire couler un bon café.

Il me serra dans ses bras, un peu trop fort à mon goût, puis me relâcha en me disant texto que je ne savais pas recevoir. Ah oui ? Probablement ... je n'avais jamais pris l'habitude de recevoir des amis à la maison. Je trouvais l'appartement trop petit, pas assez chaleureux. J'avais plus l'habitude de sortir boire des verres dans des bars ou des cafés, ou bien aller chez les autres. C'était toujours mieux chez les autres ... Je n'avais pas honte du trou dans lequel je vivais. C'était plutôt propre et bien rangé avec une déco minimaliste. Je détestais m'encombrer de choses inutiles. J'invitais Dean à entrer dans mon chez moi, mais ce dernier ne prit pas la peine d'attendre l'autorisation. Il passa l'encadrement de la porte et inspecta les lieux avec sa délicatesse qui lui était propre. Heureusement pour lui, je ne me vexais pas rapidement.

Il est vrai que je ne savais pas recevoir. Faire du café à longueur de journée ce n'était pas mon truc. D'ailleurs je n'en buvais que rarement. J'espérais qu'il en restait encore un peu ... Haussant les épaules et souriant face à la remarque de mon ami, je l'invitais à faire comme chez lui d'un simple geste de la main.

- Je t'en prie, fais comme chez toi. Je suis certain que tu sais mieux faire du café que moi. Je suis étudiant et pourtant je n'en bois pas beaucoup.

Je pris place sur une chaise et posais mes mains à plat sur la table. J'étais content de voir Dean chez moi, mais ma curiosité me travaillait. Pourquoi débarquait-il à l'improviste ? Ce n'était pas dans ses habitudes, du moins, c'était une première de le voir ici.

- Je ne te fais pas visiter, y'a pas grand chose à voir. La seule pièce que tu n'as pas vu c'est la salle de bain. Qui n'a rien d'exceptionnelle.

En effet, ma chambre se trouvait juste derrière moi. Le mur était ouvert par un grand cadre laissant entrevoir mon lit, mon bureau et mon armoire derrière un rideau en perles de bois. Je n'avais pas de salon malheureusement. Se payer un apparement 3 pièces quand on est étudiant est un luxe presque impossible. Sauf quand on s'appelle Dean ou Alex.

- Que me vaut cette visite soudaine ?

L'odeur du café commençait à embaumer tout l'appartement.

J’aurai pu rester chez moi à me morfondre dans mes draps et pester sur mon sort. Le temps était abominable et rien ne m’aurait poussé à franchir le pas de ma porte. Mais pourtant, j’avais agit tout autrement. Sur un coup de tête, sans réfléchir, je m’étais laissé guider par mes pas, me menant devant l’appartement de mon meilleur ami. C’était logique à vrai dire. Quand les songes vous ronge l’esprit, il est tout à fait normal de se tourner vers la personne qui vous comprend le mieux. J’avais besoin qu’il me remonte le moral, qu’il enlève cette anxiété qui me tétanisait depuis plusieurs semaines maintenant. Malgré mes nombreuses heures passées chez la psychiatre, je ne voyais aucune évolution. Elle avait beau avoir de merveilleuses compétences, j’avais besoin de passer à la vitesse supérieure.

Et j’étais convaincu, en mon fort intérieur, que Liam m’aiderait sur ce coup. Mais peut-être que je me trompais complètement. Après ces séances interminables de remise en question, j’avais compris une chose. Dans la vie il faut agir pour que les choses changent. Si on reste sagement assis sur sa chaise à regarder dans le vide en attendant que la solution nous tombe dans les mains, alors on pourrait attendre bien longtemps. Sauf que moi, je n’avais clairement pas le temps.

Comme il me conviait à le faire, je me dirigeais vers sa micro cuisine pour me couler du café. Du moins, ce qu’il restait de café dans le fond d’une boite en métal. Après seulement quelques minutes, l’odeur du café chaud embauma la pièce. Je m’installais à côté de Liam qui paraissait toujours autant choqué de ma présence dans son minuscule appartement. Je lui souris, bu une gorgée et reposa la tasse sur la table de la cuisine. Il avait besoin d’explications et je pouvais le comprendre. Mais avant, je ne pu m’empêcher d’observer les lieux. C’était un endroit petit, mais confortable. Liam ne s’encombrait pas de choses inutiles et son studio ressemblait vraiment au stéréotype même de l’étudiant. Sa chambre se situait derrière une sorte de paravent en bois qui séparait la pièce en deux. Son bureau était couvert de classeurs, livres de cours, feuilles et stylos. La pièce était plongée dans la pénombre tant il faisait gris dehors.

Dans le silence qui s’était installé le temps de mon observation, on entendait les gouttes s’écraser contre les vitres de la pièce principale. J’inspirais profondément avant de rompre cette quiétude qui s’était imposée malgré moi.

« J’aurai du te prévenir … j’ai pas vraiment réfléchi je t’avoue. J’avais même pas envie de sortir de chez moi à la base. Mais bon … je ne tiens plus. Je rumine depuis des semaines et je ne trouve plus le sommeil. »

Je baissais les yeux vers la tasse, observant les ondulations dans mon café. Soudain mon esprit s’égare, le temps d’un instant, et je repris aussitôt contenance pour ne pas paraître trop étrange aux yeux de Liam.

« Désolé… mes pensées sont tout le temps obstruées. J’ai l’impression de tourner en rond, de ne pas trouver de solution. Je ne sais pas si je te l’avais déjà dit, mais je vois une psy depuis plusieurs mois. Et j’ai comme l’impression que rien ne va. Que ces séances ne servent à rien. On approche de plus en plus vers la fin de l’année, donc des examens … je sais que j’y arriverai, que j’obtiendrais mon diplôme. C’est prétentieux de dire ça, mais je n’ai jamais eu de difficultés scolaires. Sauf que ce qui m’inquiète c’est le après. »

Je trempais mes lèvres une seconde fois dans le doux breuvage qui était devenu clairement une drogue depuis mon entrée à la fac. Puis mes yeux se posèrent sur le regard de Liam. Je le considérais avec beaucoup de soutiens et d’insistance, comme pour lui faire comprendre que j’avais besoin de son aide et de son soutien dans ce moment difficile.

« Tu sais aussi la pression familiale qu’il y a derrière ce diplôme, et le poste qui m’attend. Ca pourrait être une chance aux yeux des autres, mais pour moi c’est un véritable calvaire. Mon père n’attend qu’une chose de moi : la réussite. Je n’ai pas le droit à l’échec … je n’y ai jamais eu droit de toute manière. Mais les choses sont compliquées, très compliquées. »

Mon esprit était tellement embrouillé que je n’arrivais pas à m’exprimer clairement. Comme si je n’osais pas dire avec exactitude ce qui m’avais poussé à venir ici. Pourtant j’avais toute confiance en Liam et je savais que je pouvais m’exprimer à cœur ouvert sans le moindre jugement. Alors pourquoi je n’osais pas lui dire le réel problème ? Pourquoi ? Ce blocage était stupide. Mes doigts se resserrèrent sur la anse de la tasse et j’inspirais lourdement.

Je regardais Dean avec une certaine émotion. Jamais je ne l’avais vu dans un tel état. Visiblement quelque chose n’allait pas et il paraissait complètement désemparé par la situation. Il pouvait compter sur mon aide si jamais il était venu spécialement pour ça. Laisser les copains dans la panade ce n’était pas du tout mon genre. Il s’excusait de ne pas avoir prévenu son arrivée, puis affirmait qu’il était tracassé par quelque chose.

« Mais non, tu n’as pas besoin de t’excuser … »

De toute évidence il n’allait pas bien. Pour ruminer autant et ne pas trouver le sommeil, ce quelque chose devait être pesant et important. Je fronçais les sourcils au fur et à mesure de ses explications. Ce n’était pas bien clair, il tournait autour du pot et s’exprimait de façon totalement confuse. Je détestais ça. Ca m’agaçait au plus haut point qu’on n’en vienne pas aux faits. Mais bon, vu la situation, je gardais contenance et inclinais simplement la tête pour le solliciter à aller vers sa conclusion. Une conclusion qui ne venait jamais.

Je savais qu’il consultait une psychologue sur les recommandations de son père. Il me l’avait déjà dit le soir sur le port. Mais je ne savais pas que ça faisait aussi longtemps. A cause de son pouvoir peut-être ? En tout cas, c’était lié. La non maitrise de son pouvoir le menait à mal et je pouvais comprendre que ça le tracassait. Mais bon, ça pouvait arriver à tout le monde n’est-ce pas ?

A la fin de son monologue, je posais mes mains sur les siennes, comme pour essayer de le calmer. Même si je doutais que ça serve à quoique ce soit. J’avais vu que ça marchait bien dans les films. Je n’étais pas très tactile de nature, alors mon contacte sur sa peau me faisait un truc bizarre. Comme si ce geste n’avait rien de naturel et qu’il n’avait pas lieu d’être.

Je me retirais aussitôt, me ménageant sur mon siège, comme si j’avais fait quelque chose de mal ou de déplacé. La gêne probablement.

« Oui je sais que tu subis une pression quotidienne avec ton père. Et ton pouvoir n’aide sûrement pas. Mais Dean … tu peux surmonter tout ça non ? T’es un mec costaud et même si ce poste ne te convient pas, ça t’ouvrira d’autres portes. Tu peux toujours faire ça un an et ensuite changer de voie non ? Ton père n’est un tyran, il comprendra que le poste qu’il te propose n’est pas fait pour toi. Et puis, les choses finiront par s’arranger avec ton pouvoir. C’est essentiellement dû à cause du stress toute cette histoire. Je pense que tu dramatises un peu pour rien. Ou alors … il y a quelque chose d’autre ? »

Je levais un sourcil circonspect, comme si j’avais découvert la faille. Alors que je n’en savais rien. Enfin pour venir jusqu’ici, il y avait bien quelque chose de plus important n’est-ce pas ?