Voilà la fin de l'année approchait à grands pas et les examens ne tarderaient pas à tomber. J'étais prêt. Enfin, j'avais cette impression. J'avais hâte de quitter le lycée une bonne fois pour toute, prouver ma valeur et montrer à tout le monde que je ne valais pas rien. La plupart avaient ris en apprenant que j'avais postulé pour passer le concours des Defenders. Bon ce n'était pas rare de voir un gamin de 16 ans passer le concours, mais c'était plutôt rare de les voir réussir.

Mais j'y croyais dur comme fer. J'avais basciné la plupart de mes amis avec mes espoirs et ma volonté de devenir le défendeur de l'humanité. Il y avait tant de choses à faire, tant à New York qu'à l'extérieur. Mais ce que je chérissais le plus, c'était d'explorer la Zone Extérieure. Alors oui, je n'étais pas dupe ... il fallait avoir une bonne expérience en tant que soldat et c'était probablement les meilleurs qui pouvaient prétendre accéder à la ZE. Mais j'y croyais et c'était ça le plus important.

Je quittais le cours de mathématiques en regagnant le couloir menant à la cafétéria. C'était mon endroit préféré pour passer le temps. Ce n'était pas qu'un lieu pour manger, mais également pour papoter entre copains, pour faire passer des idées, toussa toussa. J'étais content de me dire que tout serait enfin derrière moi dans moins d'un mois. Je n'avais pas spécialement peur de mes résultats aux examens. C'était la seule contrainte qui pouvait me faire foirer mes espoirs. Le fait de redoubler ...

Je m'installais à une table, juste à côté de Louise. Elle et moi, on ne s'entendait pas sur l'avenir. Mais on s'appréciait quand même. Enfin, moi, je l'aimais bien. Je lui donnais un coup un peu brusque alors qu'elle avait la tête plongée dans un livre de biologie.

- Alors ? Prête pour l'avenir ? Endosser le rôle de franche citoyenne d'un avenir destiné au déclin de l'humanité ?

Oui, je savais qu'elle souhaitait quitter le dôme pour Alticio. Et nos principaux sujets de dispute s'accordaient là dessus. Moi dans la provocation ? Noooon.

C'était la fin de l'année scolaire et du lycée pour une grande majorité des lycées. Louise faisait partie des Terminales de cette année qui devaient passer le bac dans quelques jours. Elle avait travaillé toute l'année pour obtenir des résultats convaincants, mais avait toujours ce petit stress qui sommeillait en elle. Celui de foirer ses examens de fin d'année. Ce n'était qu'une formalité d'avoir le bac, mais c'était le premier gros examen de sa vie.

Que ferait-elle ensuite ? Aucune idée. Elle avait longtemps parlé avec Camille de s'inscrire à l'université de Médecine, mais ses notes n'étaient pas assez bonnes et son dossier recelait quelques divergences ne permettant aucunement l'intégration d'une telle université. Louise n'était pas dupe ... son avenir était plus que bancal à cause de son comportement scolaire. Elle avait eu la fâcheuse tendance à sécher les cours, à répondre aux professeurs et de ne pas avoir le contrôle de sa capacité à certains moments de la journée. Surtout quand elle subissait les ricanements d'un groupe de fille qui lui sortait par les trous de nez.

Ses yeux commencèrent à piquer alors qu'elle posait son crayon sur la table ronde de la bibliothèque où elle avait pris place pour réviser ses cours de biologie. Elle était plutôt bonne dans cette matière et s'efforçait d'apprendre un maximum de plantes pour l'avenir qu'elle envisageait si tous ses plans tombaient à l'eau. Louise avait pour projet de quitter New York pour Alticio. Bien sûr, elle n'était pas prête. C'était un projet en tête, rien de plus ... Il fallait d'abord qu'elle s'informe plus, qu'elle se prépare à la vie extérieure, pour survivre. Devenir une véritable Alticienne qui apporte quelque chose à la communauté.

Alors qu'elle s'installait à la cafétéria pour y déjeuner, Lucas s'approcha d'elle. Il avait le chic pour ne pas être très ... délicat. C'était une brute épaisse, le genre de mec qui finissait Defenders et que l'Académie Newell prônait. Louise leva les yeux au ciel.

- T'as pas quelqu'un d'autre à embêter Lucas ? Je révise là ... enfin ... je révisais.

Elle ferma son livre de biologie accompagné d'un grand soupire d'exaspération, attacha ses cheveux roux en une queue de cheval solide, puis se leva vers le self. Elle attrapa un plateau et passa devant la cantinière qui versa une sorte de bouillie informe dans une assiette qu'elle lui tendit. Louise ne fit aucune grimace contrairement à ses camarades de classe. Elle devait s'habituer à ce genre de nourriture si elle voulait rejoindre la colonie.

Elle s'installa à nouveau à table, où Lucas n'avait pas bougé d'un centimètre. Elle aurait pu changer de place, mais finalement la compagnie du garçon ne la dérangeait pas. Après tout, ils étaient amis.

- Et toi ? Tu penses être assez débile pour intégrer les Defenders ?

Un sourire torve se dessina sur ses lèvres moqueuses. Bien entendu, Louise cherchait à rendre Lucas fou, mais ce n'était aucunement blessant. Juste taquin. Il savait ce qu'elle pensait de l'Académie et de ses soldats.

Franchement elle était pas cool. Je venais en toute amitié pour prendre des nouvelles et elle, tout ce qu'elle arrivait à faire c'était de lâcher un gros soupire. Bah bonjour la sympathie ! Je fronçais les sourcils d'un air renfrogné. Non, je n'ai pas d'autre chose à faire, et justement je m'ennuie ! Je pensais qu'on était amis quoi. Finalement elle se leva avant même que j'ai eu le temps d'ouvrir la bouche pour rétorquer. Elle se dirigea vers le self et revint avec un plateau qui comportait qu'une assiette et une sorte de bouille dégueulasse à l'intérieur. Ca sentait mauvais et mon nez se fripa lorsqu'elle déposa son plateau sous mes yeux.

- Yeurk ! Tu vas manger ça ?

Je pointais l'immondice chose qui gisait au fond de son assiette avec un air de dégoût. Elle n'avait pas l'air si attristé que ça. Pourtant on avait le choix.

- Tu sais que tu peux prendre d'autres trucs ... y'a genre des oeufs, des lentilles, de la viande, du fromage, bref des trucs bien mieux que ça ! T'as même pas pris de dessert histoire de te consoler un peu ?

Pas étonnant qu'elle soit aussi frustrée. Sa pique ne m'atteignait pas. J'avais l'habitude avec Louise. Ca me faisait même rire. Alors je ris sans exagération, passant mes mains derrière la nuque. Un groupe de filles nous observait à côté, un peu indignés par mon comportement. Je m'en foutais.

- Tu dis ça, mais tu n'y connais rien. Tu sais même pas sur quoi sont basées les sélections d'entrée à l'Académie. C'est beaucoup plus dur que tu ne le crois et y'a aussi un test mental. Pas que physique. Et pour le physique, j'ai tout ce qu'il faut en tout cas ! Regarde moi ces muscles en béton !

Je contractais mes biceps tel un athlète de haut niveau et je me mis à rire aux éclats.

- Allez, tu vas quand même pas manger cette merde toute seule !

Je me levais pour rejoindre le self et à mon tour je pris la même bouillasse que Louise. A mon retour à table, je posais le plateau d'un geste brusque. La bouille vola un peu partout autour sur mon plateau. Les bras tendus, j'inspirais l'odeur nauséabonde de ce plat immonde. Et je ne pu m'empêcher d'exprimer un rictus désapprobateur.

- Bordel ça pue ce truc ! Bon ... je t'accompagne dans la douleur. On peut dire que c'est notre épreuve à tous les deux ?

Louise releva sa tête en direction de Lucas tout en fronçant les sourcils. Oui elle allait manger ça et toute seule de préférence. Mais non, le futur soldat avait décidé de l'importuner durant sa pause déjeuner. Elle tendit le cou dans l'espoir de voir Camille passer. Si seulement elle pouvait débarquer et se débarrasser de ce opportun !

- Oui je vais manger ça, répliqua Louise d'un ton sec. Tu sais que tu viens de citer que des protéines là ?

Elle eut un petit ricanement mauvais. Ca montrait bien que les Defenders n'étaient tous que des crétins. Des tas de muscles sans cervelles qui obéissaient aux ordres sans chercher à comprendre. Justement, Louise ne comprenait pas l'intérêt de Lucas pour l'Académie. Il ne voyait pas l'avenir si restrictif qu'il avait ? Ce n'était pas un mauvais élève pourtant, il avait espoir d'aspirer à un avenir meilleur.

- Oui enfin excuse moi, mais je vois très bien de quoi est fait le test mental, c'est une sorte de QCM débile juste pour voir si vous avez assez d'intelligence pour ne pas mettre l'Académie en danger. Ah ah la preuve en est, tu ne penses qu'à tes muscles !

C'était de la pure taquinerie. Louise plongea sa cuillère dans la bouillie, puis regarda Lucas se lever d'un bond. Il s'empressa à rejoindre le self pour prendre le même plat qu'elle. Quand il arriva pour déposer son plateau repas sans la moindre délicatesse sur la table, la future Alticienne leva les yeux au ciel. Il le faisait exprès d'être un bourrin c'est pas possible !

- Tu sais ... personne ne te force à manger ça.

Elle plongea la cuillère et porta le contenu aux lèvres. Elle mâcha quelque peu, puis déglutit péniblement. Ce n'était franchement pas bon, mais tous les apports nutritif étaient là. Elle jeta un coup d'oeil à Lucas qui peinait à porter le plat à ses lèvres.

- Hé bah ... qu'est-ce qu'il vont dire de toi à l'Académie si tu n'es pas prêt à manger un plat qu'on sert dans un lycée. Tu crois qu'ils mangent quoi les Defenders dans la ZE ? C'est pas toi qui me disait vouloir y aller un jour ?

Elle aussi. Elle aussi espérait un jour sortir de la grosse pomme pour fouler les terres froides et arides, interdites.

Je baissais les bras en lui tirant la langue d'une façon grossière. C'est fou, quand on était tous les deux, soit on se comportait comme des gosses, soit on partait dans de grandes discussions d'adultes. Je lui souris avant de porter mon attention sur le plat. Eurk ... franchement il donnait trop envie de vomir. Pourquoi s'infligeait-elle ça, alors qu'on avait des produits qui ressemblaient trait pour trait à ce que mangeaient nos arrière grands parents.

- QCM ? Mais tu sors cette info d'où ? Nan franchement Louise tu me déçois ... tu ne t'es donc pas renseigné alors. Ca prouve que tes arguments ne tiennent pas la route et que tu dénigres juste l'Académie par ce que tu n'aimes pas les Defenders. Mais c'est loin d'être un QCM je te rassure.

J'étais même stressé à l'idée de passer cet examen. Plus que celui de fin d'année du lycée.

- Je sais ... enfin toi tu me forces un peu.

Je lui fis un clin d'oeil avant de reporter avec dégoût mon attention vers la substance grisatre qui trainait au fond de mon assiette. Doucement, je regardais Louise faire. Bon sang, ça me donnait la gerbe à la voir faire. Elle paraissait prendre aucun plaisir et je me résignais donc à repousser le plateau des deux mains.

- Je crois que j'ai pas très faim ...

Louise se croyait maligne. Mais l'Académie n'était pas aussi cruelle qu'elle laissait le faire croire. Jamais je n'avais entendu parlé de maltraitance alimentaire. Justement, c'était important de bien nourrir ses soldats, alors un plat aussi ignoble, c'était improbable qu'on leur donne ça, même en mission en Zone Extérieure. Je m'avançais en appuyant sur mes coudes, arquant un sourcil réprobateur en direction de Louise.

- Ils ne mangent pas ça. Y'a que les fous d'Alticiens qui s'infligent de pareils trucs. D'ailleurs ... tu comptes toujours aller là bas ?

Je savais qu'elle voulait rejoindre Alticio pour voir la ZE. Sa manière à elle d'explorer le monde violent des vents ravageurs. Moi, je ne comprenais pas ce délire. Mais bon, chacun son truc, je n'allais clairement pas la bâcher sur son envie de danser autour d'un feu à la pleine lune en mangeant de la bouillie.

Lucas cherchait vraiment les ennuis. Il faisait tout un cinéma pour rien du tout et s'en était presque navrant. Ils allaient vraiment passer un examen d'entrée chez les Defenders alors qu'il se comportait comme un bébé ? Louise avait envie de rire à son tour. Mais elle se retenait, bien trop sérieuse. Elle fronça le nez en entendant Lucas rétorquer qu'elle n'avait pas un avis objectif sur l'Académie. Oui, il avait peut être raison. Elle avait toujours entendu ses parents dire du mal de l'Académie et ce n'était pas pour rien qu'elle les voyait comme des brutes sans cervelle. En fait, ça lui faisait de la peine que Lucas s'obstine. Il aurait pu devenir quelqu'un d'autres, mais au lieu de ça, il s'était forgé dans l'idée d'endosser le rôle de soldat de l'humanité. Pourquoi ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Parce qu'il espérait être un héros ? Ou parce que depuis tout petit ses parents à lui, avaient posé la petite graine de Newell en tête. C'était fort possible.

Elle pouffa de rire devant le rejet de Lucas à manger cette nourriture. C'était si risible. Il ne faisait aucun effort. Mais Louise lui lança un regard noir lorsqu'il clama que seuls les Alticiens étaient assez fous pour manger un pareil plat. Il ne savait même pas de quoi était constitué cette bouillie grisâtre. Mais Louise était convaincue que si le monde s'écroulerait, elle tiendrait debout, elle.

- Oui je compte toujours aller chez les fous.

Disait-elle en pinçant les lèvres et en fusillant Lucas d'un regard noir. Elle finit par gober plusieurs bouchée de bouillasse grise, puis reposa sa cuillère sans la moindre délicatesse sur le bord de l'assiette. Sans décrocher le moindre regard vers Lucas, elle sortit son livre de biologie qu'elle posa devant ses yeux et se replongea dans ses révisions. Mais rapidement, elle sentit le regard insistant de Lucas et elle poussa un lourd soupire avant de relever la tête dans sa direction.

- Quoi ?! Tu veux savoir pourquoi je veux toujours aller là bas ?

Elle posa ses deux bras en croix sur son livre, puis se pencha en avant pour mieux voir Lucas. Il était si beau avec ses petites tâches de rousseurs sous ses yeux bleus. Elle avait presque envie de lui faire un câlin.

- Je ne suis pas encore sûre. J'aimerai bien y aller pour tenter l'expérience, pour quitter ce dôme où rien n'est réel. Mais je dois d'abord me former. Apprendre ces plantes, les comprendre, voir leur utilité et les reconnaitre dans la nature. Si je dois aller là bas, je veux être utile, être capable de les aider d'une façon efficace tu comprends ? J'ai un don que je voudrais exploiter de la bonne manière. Et la plus naturelle possible ... ce n'est pas dans les hangars ou les serres de New York que j'excellerai. Mais je ne sais pas si je suis encore prête ...

C'était ça son plus gros doute. Elle n'avait que 17 ans, des rêves plein la tête. Peut-être que ce n'était qu'une idée qu'elle réaliserait dans quelques années. Mais Louise sentait qu'il était temps pour elle de quitter New York, d'affronter la réalité. Le dôme ne tiendrait pas éternellement et les conflits sociaux finiraient par éclater. Elle ne voulait pas être présente à ce moment là. Après tout, elle ne serait pas formée pour affronter des combats peut-être sanglants.

J'avais connaissance du pouvoir de Louise. Depuis gamins on trainait ensemble, donc forcément on avait vu nos pouvoirs grandir avec nous. J'excellais dans la vitesse et la course, tandis qu'elle arrivait à faire germer une graine en l'espace de quelques minutes. Mais l'étendue de nos pouvoirs était encore bien grande. On n'avait pas exploité nos capacités au delà de nos limites. Et j'espérais qu'avec l'Académie Newell je puisse y accéder.

J'écoutais attentivement mon amie tout en lorgnant d'un mauvais oeil ce plat dégoutant. Elle disait ne pas être encore prête pour Alticio, qu'elle voulait d'abord apprendre le noms des plantes et leurs vertus. Mais était-elle au courant que plus rien ne poussait en dehors du dôme ? C'est le désert là dehors ! J'avais du mal à la saisir ...

Certes, tout n'était pas réel sous le dôme. Mais New-York permettait de vivre en sécurité et dans une atmosphère agréable. On avait crée l'illusion que le monde de nos ancêtres était encore viable. Et je ne crachais pas là dessus. Alors oui, j'avais hâte de voir ce qu'était réellement la Zone Extérieure moi aussi ... mais y vivre ? Non. Certainement pas !

- Je comprends ... en fait, tu as peur de perdre tout ce que tu as aujourd'hui. Les privilèges d'une citadine blanche vivant dans un quartier correct d'une des plus puissantes villes du monde. Je comprends ! Faut se préparer mentalement et physiquement à affronter un tout autre univers.

Même si mon ton se voulait sarcastique, j'étais d'accord sur le principe. C'est vrai, qui était assez fou pour tout abandonner et se lancer dans une aventure qu'il regretterait peut-être ? Je n'étais pas certain qu'un retour en arrière soit possible. Elle allait me manquer franchement.

- Après peut-être que tu te fais des montagnes pour rien ? A ma connaissance, je n'ai jamais entendu qu'un Alticien était revenu vivre à New York. On en voit passer de temps en temps dans les rues, mais ils sont juste là pour quelques jours ... voir la famille je suppose. Qu'en disent tes parents ? Ils te laisseraient partir ?

Avaient-ils vraiment le choix ? Mes parents avaient été heureux que l'Académie accepte ma candidature pour passer l'examen. On prônait les Defenders depuis ma tendre enfance, alors c'était presque normal que j'y aille. Mais je n'étais pas sûr que les parents de Louise soient rassurés par l'idée que leur fille unique s'en aille dans une ville située au beau milieu de la ZE.

Ce n'était pas la première fois qu'ils avaient ce genre de discussion. Louise était lassée de toujours se répéter et les propos de Lucas restaient à chaque fois les mêmes. Oui elle avait des doutes, des craintes et peur de regretter son choix. C'était normal, vu qu'elle n'avait jamais connu autre chose que New York. Elle avait peur de l'inconnu, mais en même temps elle était excitée à l'idée de découvrir un tout autre monde.

Avant de se lancer à corps perdu dans une nouvelle vie clairement différente de celle-ci, Louise préférait se préparer. Ce n'était pas de la peur selon elle, mais plutôt une anticipation. Oui elle allait beaucoup perdre dans cette nouvelle aventure, mais n'était-ce pas ça le but au final ? Vivre plus sobrement, en communion avec la nature ? L'humanité en était arrivé là parce qu'elle s'était coupé de la nature, de l'élément vital dans lequel elle était censé évoluer.

La jeune lycéenne secoua vigoureusement la tête.

- Tu n'y es pas du tout Lucas ... c'est normal d'avoir peur de tout perdre, d'aller en terrain inconnu. Il faudrait être totalement fou pour ne pas avoir peur ... non. Je veux me préparer le mieux possible pour Alticio, car justement je sais que là bas tout est différent. Je ne veux pas arriver comme une fleur et me retrouver totalement larguée, ne pas savoir quoi faire, ni qui contacter pour me rendre utile. Si je quitte New-York, c'est que justement j'aspire à d'autres idées que celle que nous martel sans cesse le dôme.

Elle avait fini son repas. Un vieux goût de charbon lui restait au fond de la gorge. Alors elle attrapa un grand verre d'eau pour se rincer le gosier avant de reprendre sur un ton plus ferme encore.

- Et mes parents ne sont pas du tout inquiets. Ils me poussent même à agir. Pour eux je devrais finir le lycée et directement intégrer la prochaine colonie. Je leur ai expliqué que ce n'est pas si simple, qu'il y a des risques à traverser le désert jusqu'à Alticio et que pour cela je devais me préparer. Dans l'éventualité qu'un des convois ne se passe pas comme prévu, il faut que je puisse survivre dans le désert le temps que les secours arrivent.

Bien sûr, elle préférait que ce genre de situation n'arrive jamais. Les convois attaqués par des créatures sauvages ou par les vents étaient plutôt rares. En général, Alticio et New York s'organisaient pour que les pèlerinages se déroulent lorsque les vents sont au plus calme. Mais ça pouvait arriver et Louise avait déjà entendu des histoires horribles à ce sujet.

- Toi tes parents ne sont pas inquiet que tu quittes ta famille pour t'engager corps et âme à Newell ? J'veux dire ... tu vas vivre à l'Académie et te couper de tout le monde. Tu ne seras qu'avec des Defenders. Moi j'aurai peur à ta place. Peur de ne plus avoir un avis éclairé sur cette académie qui prône de "héroisme" de ses soldats.

Elle le considérait avec des yeux sérieux et plein de questionnement. Elle aussi pouvait essayer de comprendre finalement. Pourquoi ça serait elle la bizarre dans l'histoire ?

On avait chacun nos craintes, mais pas pour la même raison. Je voyais le pèlerinage de Louise comme un périple dont elle jugeait mal les conséquences. Traverser la Zone Extérieure alors qu'elle n'était pas du tout formée pour, c'était une épreuve. Je doutais sérieusement qu'elle en soit pleinement consciente. Alors bien entendu, on pouvait circuler de dôme en dôme et les convois en ZE n'étaient pas rares. Mais il appartenait aux plus riches ce genre de déplacements, ou bien aux cas exceptionnels. Moi je n'avais jamais quitté New York et je dois dire que j'étais bien curieux de fouler les terres hostiles qui entouraient le dôme. Mais pas pour les mêmes raisons que mon amie. J'esquissais un petit sourire tandis qu'elle essayait de me rassurer sur ses intentions. C'était noble et louable, mais elle pourrait s'acharner avec tous les arguments du monde, je ne comprenais pas sa décision. Mais si sa famille la soutenait, alors soit ! C'est qu'elle devait le faire.

- Ma famille sont pro Defenders Louise. Ils ne s'inquiètent pas pour moi, justement ils me soutiennent et sont fiers que je veuille me lancer dans cette carrière. Alors oui ça demande un certain sacrifice, mais qu'est-ce que c'est vraiment ? Se couper de sa famille pour servir l'humanité ? T'es quand même au courant que sans les Defenders ça serait l'anarchie totale dans cette ville ?

Sans les Defenders, impossible pour le dôme de tenir debout. On était trop nombreux à être enfermé sous la grosse cloche holographique et bien trop nombreux à posséder des pouvoirs spéciaux plus ou moins utiles. Moi j'étais content de faire partie de cette milice d'élites. Enfin, j'avais un concours à passer et j'étais loin d'être sûr de surmonter les épreuves avec brio. Et c'était plutôt ça ma crainte. Pas le reste.

- Je doute plus par rapport aux épreuves qui m'attendent que ma futur vie de soldat. Mais bon, c'est sur que les grands débats avec toi vont me manquer.

Je me leva doucement, plateau en main pour me diriger vers une sorte de tapis roulant qui amenait les plateaux sales dans une grosse laverie.

- Peut-être qu'un jour je serais amené à sécuriser Alticio. J'ai entendu dire qu'ils envoyaient des soldats là bas de temps en temps. Moi ça me plairait bien. De ne pas être forcément toujours coincé dans le dôme. Donc dans un sens je peux comprendre ton envie de vivre là bas.

Mais en même temps je ne comprenais pas. Laisser derrière soi les saisons, la chaleur du soleil et la protection du dôme. Je ne pigeais pas. Et ça pouvait clairement se voir dans mon regard.