Quelque chose se tramait à Alticio, je n’étais pas dupe. Cooper avait repris du poil de la bête et ce, malgré le virus qui l’avait contaminée. Je n’avais pas eu le déplaisir de la voir en live, et c’était pas plus mal vue que cette saloperie de virus semblait ne toucher que les mutants. L’avoir au bout du fil était suffisant ! Elle m’avait cassé les couilles toute la journée à me faire courir partout pour porter des notes de service urgentes, en plus du nouveau travail gratifiant qu’elle m’avait dégoté ! J’en avais marre de jouer les secrétaires. Plus que quelques mois à tenir avant ma majorité. J’avais hâte d’obtenir mon accréditation, espérant que je pourrais l’envoyer chier définitivement pour ces tâches ingrates, après ça.
En attendant, je prenais mon mal en patience, étais plus assidu que jamais aux entraînements, et redoublais d’efforts et de vigilance afin de ne pas lui laisser le moindre prétexte qui pourrait me compromettre ou qui lui permettrait de me serrer. Je me tenais donc à carreaux dans l’enceinte d'Alticio, ce qui limitait pas mal mes investigations, il fallait l’admettre. Mais, c’était en soit un très bon entraînement pour la suite.

Ma journée de travail accomplie, je quittais le bureau. Comme à mon habitude, je prenais garde à ne pas être suivi. C’était que je devenais parano à cause de cette grognasse qui me menait la vie dure ! Ce soir là, quand je quittais le bâtiment, je remarquais une nana, une agent. Sa tête me disait quelque chose, mais elle ne traînait pas souvent à ce niveau. Un rapide coup d’œil à son badge m’indiqua qu’elle était de Alticio. Les sous-sols, certainement. Ou alors une agent de terrain. Je ne les connaissais pas tous après tout. Mais elle… elle ne m’inspirait pas confiance. Je pris soin d’enlever le mien de badge d’ailleurs, avant de quitter les lieux.

Il faisait un temps de merde aujourd’hui ! Et bizarrement, c’était le jour où j’avais choisi de ne pas prendre la voiture ! C’était bien ma veine ! La journée de merde continuait. J’empruntais le chemin me menant au métro le plus proche, marchant sous la pluie, jetant de temps à autres des regards derrière moi. C’était une habitude que j’avais prise depuis ma dernière altercation avec Cooper. J’avais la désagréable impression qu’elle me faisait surveiller cette garce !

La nana… de toute à l’heure… elle me suivait ! J’en étais quasiment sûr. Je l’avais aperçue. Je ne me rendis pas à la station à laquelle je devais prendre mon métro, préférant changer d’itinéraire. Simple mesure de précaution… En même temps j’étais con ! Ils avaient mon adresse ! … Et merde ! Maxime !... Mon sang ne fit qu’un tour. Je fis volte face. C’était bien la même femme. Je marchais à présent dans sa direction. Elle agissait comme si de rien n’était. Je baissais la tête, l’air de rien. Je ne m’écartais pas au moment de la croiser, la bousculant sans ménagement.

Bien, d’après les dires de Lewine, McCandless se trouvait dans la 10ème rue. Il était arrivé à Alticio par le 6 ème pelerinage, sans ses parents. Il vivait de choses simples et paraissait être une aide véritablement précieuse pour la ville neuve. Black devait le trouver pour lui poser quelques petites questions. Après tout il était particulièrement proche de Rose Peterson d’après ce qu’elle avait pu en voir dans ses investigations. Black n’aimait pas faire les choses à demi-mesure. Elle devait absolument vérifier si McCandless n’avait rien de suspect. En soit, il était plutôt le genre de garçon sympathique à regarder, bien bâti et plutôt respectable. Son casier judiciaire était vide et bien entendu personne ne lui reprochait quoique ce soit. Il travaillait au marché en tant que vendeur de légumes rares les weekends, et aidait au maintien des fortifications de la ville.

En réalité, elle n’avait aucun doute sur son innocence. Jusqu’au jour où elle avait appris les nombreuses sorties nocturnes du jeune homme. Les jeunes gens sortaient de temps en temps dans un lieu qu’ils avaient créé pour décompresser des lourdes journées froides, sans soleil. Mais elle avait suivi les itinéraires du garçon, et il s’avérait qu’il sortait en zone extérieure par une brèche qu’elle n’avait pu détecter. Ainsi, Sasha était devenu un véritable suspect sur la disparition de Cook. Et puis, il était l’un des rares Alticiens à avoir eu accès aux enclos.

A présent, elle le suivait depuis le centre ville, après son départ de son nouveau boulot. Elle ne devait pas le rater, voir ce qu’il faisait de ses journées, qui bizarrement étaient des plus banales et ennuyantes. Pourtant, ça l’amusait, Black, de jouer au détective. Elle prenait ce nouveau rôle très à cœur, ce qui lui bouffait une grosse partie de son temps. Elle ne regrettait pas ce poste si prestigieux et ne voulait en aucun cas décevoir Lewine de son choix. Elle portait tous les espoirs de la ville sur elle, alors Black n’avait pas le choix. Elle ne pouvait pas laisser filer un tueur, même s’il pouvait montrer tous les signes contraires la journée.

Alors qu’elle arrivait près de chez lui, la jeune blonde prit rapidement un journal qu’elle déploya sous son nez, faisant semblant de lire les gros titres. Mince ! Il venait tout juste de la repérer. Du moins, c’est ce qu’elle pensait dans un premier temps. Alors elle se retourna, espérant qu’il ne ferait que rentrer chez lui. Mais en quelques secondes seulement, elle se sentie partir en avant. Sasha venait de la bousculer, pour filer droit devant. Furieuse que sa cible lui échappe des mains, Black sortie son insigne de sous sa veste et son pistolet laser.

- Inspecteur Black Allson, arrêtez-vous immédiatement McCandless !

Je m'arrêtais net, un frisson désagréable me parcourant l'échine. J'avais reconnu sa voix entre mille. Que me voulait-elle ? Je n'avais rien fait de mal, or quand Allson venait vers vous, c'était forcément parce que vous aviez quelque chose à vous reprocher. Je ne l'aimais pas vraiment, mais je n'avais rien à cacher. Pas cette fois en tout cas. Je pivotais sur mes talons, levant mes bras au ciel, les clés de ma maison dans une main, mon sac de courses dans l'autre. Elle était là, planté devant moi à quelques mètres sous la lumière blafarde d'un réverbère. Elle était à peine discernable. Je plissais les yeux pour mieux apercevoir sa chevelure blonde flotter au gré du vent limpide et sec qui rôdait tel un fantôme dans la rue désertique. Je soupirais et m'avançais de quelques pas. Ne pas faire de bêtises, on ne sait jamais comment un ex black warrior peut réagir. Ils sont tous à moitié bêtes non ?

- Qu'est-ce que tu me veux Allson ? Je n'ai plus le droit de me balader dans les rues le soir ?

Le soir, le jour. A Alticio, il n'y avait plus vraiment cette notion du temps. Quand le ciel était constamment noir et que l'air était toujours aussi glacial en fonction des heures qui défilaient, on ne savait plus vraiment si le réveil était réel ou pas. C'est peut être la chose que je préférais dans cette vie tranquille, où seul votre respiration haletante raisonnaient entre les murs de votre maison. Pas un bruit, pas un klaxon, ni même ces fragrances pestilentielles de pollution. J'étais heureux d'être ici, au calme, loin du bruit insupportable de la Grosse Pomme. Alors pourquoi me suspecter ? Pourquoi me tenir en joute alors que je n'ai dans les mains qu'un sac de nourriture et mes clés d'appartement ?

- Qu'est-ce que j'ai fait ?

Ouais, parce que là, je ne comprenais vraiment pas ce que je méritais pour qu'on me pointe un flingue en pleine tête. C'était un peu abusé comme situation et ça m'énervait. Mais bon, j'étais de loin en position de force, donc fallait que je reste calme et sur mes gardes. Pas un faux pas, après tout même si je n'aimais pas trop Black, elle était l'image même de l'autorité à Alticio.

Black devait faire son boulot, elle n'avait pas le choix. Elle n'en voulait pas particulièrement à Sasha, mais ses agissements tout au long de la journée avaient été suspects. Elle voulait bien croire qu'il était le garçon le plus raisonnable de toute la ville. Tout le monde l'appréciait. C'était un brave type qui participait à de nombreuses tâches dans la construction et l'agrandissement d'Alticio, mais Black ne pouvait pas laisser un seul suspect passer entre les mailles du filet.

- Désolé Sasha je fais mon job. Je dois retrouver celui qui a commis le meurtre près de l'enclos. Je pense bien que ce n'est pas toi, mais donne moi des preuves. Prouve moi que tu n'y es pour rien dans cette histoire. Car pour le moment, tous mes soupçons se portent sur toi. Tu as agit tellement bizarrement tout au long de la journée. Pourquoi ?

Elle continuait de le regarder d'un air sévère, mais également déçue. Son pistolet laser toujours pointé vers Sasha, la jeune femme avança tout en gardant une distance de sécurité; Il était bien plus grand qu'elle et pouvait agir bêtement à n'importe quel moment. De plus, elle n'était pas certaine des pouvoirs qu'il possédait, alors elle préferait ne rien risquer. Il serait trop bête qu'elle se blesse maintenant.

- On ne peut pas prendre de risque Sasha, tu me comprends. Si tes explications sont bonnes, alors je te laisserai tranquille. C'est juste que je dois mener mon enquête. Ce n'est pas contre toi personnellement, je surveille tout le monde.

Heuresuement pour elle, Alticio n'était pas une grande ville et tout le monde se connaissait plus ou moins. C'est juste que Sasha avait agit dans l'ombre toute la journée, ce qui était très inhabituel pour quelqu'un qui portait constamment main forte aux ouvriers de la ville.

La colère me montait aux joues. Je connaissais le détective Allson et je savais très bien qu’elle ne pouvait pas m’encadrer. Pourquoi ? Qu’est-ce que j’avais fait au bon Dieu pour qu’elle puisse me détester autant ? Je la considérais d’un regard mauvais, sans pour autant essayer d’attirer toute sa foudre. Après tout, mon père m’avait toujours dit de ne pas contrarier un flic, ça fini toujours mal et en sa faveur. Or je n’avais pas l’intention de satisfaire les doux plaisirs de ce détective de pacotille.

Quoi ? On avait plus le droit de se balader dans les rues d’Alticio pour faire ses courses ? J’avais quand même le droit de changer mon programme comme il m’entend. Si elle ne m’avait pas vu accomplir mes tâches habituelles aujourd’hui, c’était pour une bonne raison. Mais étais-je obligé de le lui signaler. Non. Je n’avais aucun compte à lui rendre. Et franchement, me soupçonner du meurtre du soldat de l’enclot, c’était vraiment du culot. Je me donnais corps et âme pour bâtir cette ville, alors pourquoi est-ce que je voudrais y semer la pagaille ? Ce n’était pas dans mon but.

Je me demandais vraiment si elle réfléchissait un peu avant d’agir. Enfin bon, il s’agit d’une Defenders, alors il ne faut pas trop lui en demander. Je posais mes affaires que je n’avais pas eues le temps de ranger à l’intérieur et avançais de quelques pas.  J’aurai pu me jeter sur elle et la maitriser en un rien de temps, mais … elle avait une arme braquée sur ma tête. Alors, il valait mieux se la jouer cool et coopératif.

-Pas contre moi personnellement ? Arrête Allson, tu ne peux pas m’encadrer depuis que je suis arrivé ici. Je le vois bien.  A chaque fois qu’il y a un problème, la première personne que tu viens questionner c’est moi. Pourquoi ? Tout simplement parce que tu ne supportes pas l’idée que je puisse plaire à plus de personnes que toi dans cette ville. Tu as peur que Lewine me fasse adjoint de cette ville ? Tu as peur que je prenne ta place ?

J’y allais peut être un peu fort, mais elle m’avait littéralement agressé avec son arme et ses accusations. Comment pouvait-elle dire que tous ses soupçons se portaient sur moi ? Qu’est-ce que j’avais de louche bordel ?

-Tu penses que je suis le tueur ? Pourquoi ? Parce que je n’ai pas aidé au marché aujourd’hui ? Parce que je n’étais pas sur les toits à réparer la charpente ? Parce que je n’étais pas avec Masen à réparer le moteur du filtre hydraulique ?

Je soupirais d’exaspération. Elle m’énervait d’une force … Fallait que je me calme si je ne voulais pas lui taper sur la tronche. J’avais une force colossale, mais pas un corps invulnérable. Les balles ça tue et ça fait mal… Mes narines étaient complètement dilatées et je sentais mon sang fuser dans mes veines. Je serais les poings pour garder le plus de contenance possible face à la situation.

-J’ai le droit de changer les plans de ma journée quand même. Nous ne sommes plus à New York.
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Allson se braqua brusquement. Elle n’avait pas l’habitude de voir Sasha s’emporter aussi subitement et avec une telle ampleur. Oui, son instinct d’enquêteur lui disait bien que quelque chose clochait. Quelqu’un qui n’a rien à se reprocher ne prend pas la petite mouche aussi rapidement. Elle n’avait que titillé la petite braise pour découvrir le feu qui se cachait derrière cette carcasse. Il n’avait pas tort le bougre. C’est vrai qu’elle n’aimait pas trop Sasha. Non pas parce qu’elle ne supportait pas les gens parfaits et trop gentils sur tous les plans, mais plus parce qu’il inspirait la sympathie des Alticiens et pire que tout, de Lewine. Il pouvait facilement accéder au poste d’Adjoint et ça, Allson l’aurait en travers de la gorge.

Bingo ! Il avait tapé dans le mille ! Mais elle n’allait certainement pas lui faire l’honneur de montrer qu’il avait visé juste. Ah non, monsieur parfait ne saurait rien. Elle resta de marbre, puis posa ses mains sur ses hanches. Comme pour lui rappeler qu’il parlait à l’autorité quand même.

- Hé ho, on baisse d’un ton. Tu sais que je peux te coffrer pour insubordination ? C’est pas la jungle ici, on est en train de construire une cité neuve, avec des règles à respecter. Je ne suis pas en train de t’accuser de meurtre Sasha, je veux simplement savoir ce que tu as fait de ta journée.

Elle passa une main dans ses cheveux blonds, puis lui coupa la route en se positionnant droit dans ses boites, à quelques centimètres de lui. Ses yeux toisèrent ceux du jeune homme. Il était plutôt bel homme dans son genre, dommage qu’il soit aussi chiant.

- Explique moi pourquoi tu n’étais pas au marché, pourquoi tu n’étais pas sur les chantiers lors du meurtre. Avoue que ta journée est l’une des plus suspectes pour l’instant. J’ai plusieurs témoins qui mentionnent ton nom Sasha. Alors non ce n’est pas personnel, je fais simplement mon travail et je mène l’enquête. Une enquête qui me ramène toujours vers toi.

Son index se posa fermement sur le poitrail du jeune homme et d’un air décidé elle finit par dire.

- Explique toi.

Il était évident que Black avait une dent contre moi. Je ne comprenais pas pourquoi. Ca m’énervait franchement qu’elle porte des accusations à mon encontre alors que je suis l’un des Alticiens les plus actifs sur les chantiers. Je veux que cette ville prospère dans le bon sens, qu’elle porte un nom positif et un espoir nouveau pour l’humanité. Alors pourquoi je me mettrais à tâcher mon identité avec une bête histoire de meurtre ? J’étais favorable pour qu’elle trouve l’assassin de l’enclos, mais pas pour qu’elle porte des accusations infondées sur moi. Tout ça part ce que les quelques personnes qu’elle a interviewé l’ont mené vers moi ? Qui sont ces gens ? Des personnes frustrées de me voir partout donner un coup de main ? Parce que mon nom est connu ici comme celui qui est indispensable et dont Lewine porte beaucoup d’intérêt ? Je sais que certaines personnes ne me supporte pas et ne voudraient surtout pas me voir entrer à la tête des chefs de la ville. Chose qui n’arrivera pas, ça ne m’intéresse absolument pas.

Je serrais les poings et la mâchoire pour contenir ma colère et une possibilité de faire valdinguer Black dans le fossé. Elle voulait connaître ma journée, savoir où j’avais bien pu disparaître des endroits où j’avais l’habitude d’être. Ok, j’allais tout lui dire pour qu’enfin elle me fiche la paix. Mais je n’étais pas convaincu que cette méthode marche. Après tout, elle avait décidé de me mettre le grappin dessus et la connaissant, il serait difficile qu’elle me lâche dans la nature comme si de rien n’était. Je passais une main sur mon visage exaspéré, puis lâcha un long soupire.

- Bon … Franchement Allson c’est lassant. Je ne suis pas le bon suspect. Je suis l’un des gars les plus volontaires de cette ville ! Je suis sur tous les chantiers, je donne un coup de main dès que je peux. Mon pouvoir est très utile pour la construction d’Alticio. Mais ce n’est pas parce que j’ai disparu des chantiers pendant une journée que ça fait de moi un suspect ! J’ai vraiment la gueule d’un meurtrier selon toi ?

Je lui montrai ma tronche avec les deux mains, histoire qu’elle imprègne bien le facies d’un mec ordinaire, dont aucun trait ne tirait vers le genre psychopathe.

- J’ai passé ma journée avec Rose. Tu n’as qu’à la voir et la questionner. Elle te confirmera mes propos. Nous avons parlé du fait que je souhaitais intégrer la prochaine expédition. Nous n’étions ni au marché, ni près des chantiers car on avait envie de se retrouver tous les deux. Tranquilles. Sans avoir des oreilles indiscrètes dans le dos.

Je fronçais les sourcils l’air menaçant, comme pour lui faire comprendre que ça m’énervait de lui dévoiler ça. Elle n’avait pas besoin de connaître ma relation avec Rose et encore moins mes intentions d’intégrer l’expédition. Ce n’était pas donné à tout le monde et ça en faisait généralement des jaloux. Surtout lorsqu’on était pas un ancien Defenders.

Mouais … bon Allson n’était pas très convaincue des explications du jeune McCandless. Mais il avait raison sur un point. Il n’avait ni la gueule d’un tuer et encore moins celle d’un psychopathe. Il aurait été stupide de sa part d’agir ainsi, alors qu’il essayait d’avoir une image irréprochable aux yeux de la communauté scientifiques et surtout aux yeux de Lewine. Mais Allson restait sur ces gardes. Ca ne voulait rien dire du tout. Un individu pouvait agir de manière spontanée et complètement irréfléchie sous l’effet de la colère. Il avait peut-être des ennemis ou des gens qui l’avait poussé à bout. Personne n’est irréprochable, pas même Allson.

Les bras croisés, elle le considéra avec un air circonspect, comme si les paroles qu’il débâtait lui glissaient dessus comme de l’eau sur du marbre. Allson gardait cette attitude de Defenders, comme lorsqu’elle gérait les admissions à Newell. Impassible. Aucune expression traduisant la moindre émotion. Peut-être que Sasha était déstabilisé et c’est ce qu’elle recherchait. En déstabilisant son adversaire, on arrivait toujours à déceler la vérité. Du moins, c’est ce qu’elle avait appris à l’Académie. Mais en même temps, une partie d’elle ne pouvait pas s’empêcher de croire les paroles du jeune Alticien. Il était fort, beau, jeune et intelligent. Agir sous le coup de l’émotion ce n’était pas son genre. Même si les marques de la victime montraient une mort par des coups et blessures corporelles. Pas d’armes donc. Seul Sasha avait un pouvoir lié à la force surhumaine. Il aurait très bien pu pousser la victime en usant de sa force et la tuer par inadvertance. Si c’était bien le cas, elle devait le savoir et Sasha devrait être jugé. Même si c’était un accident.

Il lui avoua avoir trainé avec Rose toute la journée. La jeune femme sortie son calepin et nota le nom de Peterson. Elle irait de ce pas questionner la jeune Alticienne dès qu’elle l’aurait trouvé. Sasha fit mention de la prochaine expédition. Aussitôt, Allson se raidit. Etait-ce une envie ou un fait accompli ? Lewine lui en aurait touché quelques mots non ? L’ancienne Defenders leva un sourcil perplexe et se mit à sourire d’une façon presque narquoise. Il était tellement mignon à croire qu’il pourrait se confronter au monde extérieur sans la moindre expérience.

« Intégrer une expédition … rien que ça. Tu sais que ce n’est pas une partie de plaisir. Le monde extérieur est vraiment dangereux Sasha. Seuls les Defenders sont capables de survivre là dehors. Ce n’est pas parce que tu as de gros bras, que tu es présent sur tous les chantiers de la ville, que tu peux te permettre d’endosser le rôle d’un expéditeur. Tu sais te battre ? »

C’était un bon moyen de savoir s’il pouvait être violent ou non. Enfin … ça ne prouverait rien. Allson arrêtait son interrogatoire pour aujourd’hui et irait trouver Rose pour concorder les dires de Sasha. Si c’était bien le cas, elle tirait un trait sur lui. Mais là, elle voulait surtout le raisonner sur son envie de se faire tuer dans la Zone Extérieure sans la moindre expérience. Il avait vraiment le syndrome du héros ce jeune là … Elle avait presque l’impression de revivre des interview d’admission à l’Académie Newell.

Que cherchait-elle concrètement ? J’en avais plus que marre de rester là, au beau milieu de la rue. J’avais mille choses à faire encore et ma journée était loin d’être terminée. Si c’était pour mon faire une leçon de morale, ce n’était vraiment pas la peine. Je savais me battre ? Bien sûr … connaissait-elle mon pouvoir au moins ? J’étais sûr que oui, vu qu’elle avait probablement épluché mon dossier avant de m’agresser avec toutes ses questions. Je levais les yeux au ciel.

- Oh c’est bon maintenant ! Tu ne vas pas me dire toi aussi que je suis incapable de faire face aux dangers de la Zone Extérieure ! Je sais me battre, je suis capable de soulever un arbre ou un rocher sans le moindre effort. Je ne vais pas rester ma vie à construire des maisons et vendre des légumes sur le marché ! On manque d’hommes sur le terrain, donc je serais bien plus utile là dehors qu’ici. Pourquoi dès qu’on est pas soldat, on est forcément peu crédible ?

Devais-je lui rappeler mon expédition dans la jungle avec Masen ? Qu’on a affronté une créature des marécages seuls, sans la moindre intervention d’un Defenders ? Ou que je sais me servir d’une arme ? Non, peut-être que je ne devrais pas lui faire mention de l’arme, ça me retomberait dessus immédiatement. Je gonflais la poitrine, me tenant plus droit, afin de montrer plus d’importance. C’était totalement inconscient et un peu matchiste comme comportement. Mais j’en avais marre qu’elle me prenne pour un gamin aux idées éberluées.

- C’est complètement réfléchi. Je ne suis pas dupe, je sais comment ça se passe en dehors d’Alitico. Et puis les Defenders ne sont pas assez nombreux, il faut bien que les citoyens prennent les armes, qu’ils participent à la vie active de la ville et au bien de la communauté. On ne peut pas rester enfermé comme à New York. Ce n’est pas ce que cette nouvelle ville représente. Si on est bien préparé, bien cadré, je ne vois pas où est le risque.

Je la considérais avec un air d’agacement et de conflit. Comme pour lui montrer que je n’étais pas un enfant capricieux qui n’avait aucune idée de quoi il parlait ou dans quoi il s’engageait. J’avais murement réfléchi et considéré mon envie de participer aux expéditions. Ce n’était nullement suicidaire, nullement impérieux. J’avais les compétences pour m’en sortir, alors pourquoi ne pas aider Alticio dans un domaine où il manquait cruellement de bras ?

Je regardais autour de moi. Les rues étaient vides, les nuages voilaient les rayons lunaires, plongeant la ville dans les ténèbres. Seuls les lampadaires éclairaient d’une lumière bleue le pavé accidenté des rues étroites. Derrière moi se tenait la place centrale du marché. Pas un chat dehors, seul le froid mordant statuait en maitre dans les lieux. N’avait-elle pas froid à rester statique ? J’entrepris alors une marche vers la grande place d’Alticio, les mains plongées dans les poches, le nez emmitouflé dans le col en laine de mon pull.

- Je bouge, il commence à faire trop froid pour discuter dehors.

Il était évident qu’il ne se rendait pas compte de quoi en retournait une expédition. Il fallait le vivre pour le savoir et Allson le savait mieux que quiconque. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait choisi de finir ses vieux jours dans l’administration de Newell. Le terrain, elle connaissait. Elle avait fait partie du FBI pendant un temps, avait déjoué de nombreuses actions terroristes au sein de la Grosse Pomme. Mais en dehors des murs en verre, elle avait vu des choses impensables. Des choses que personne ne devrait voir. Il ne savait pas de quoi il parlait. Une expédition, ce n’était pas une simple balade nocturne à la recherche de petits cailloux bleus. C’était se confronter aux vents, aux créatures qui rôdaient aux alentours, aux membres de la Horde qui pouvaient frapper à n’importe quel moment. Connaissait-il l’art du combat ? De défendre son camarade au péril de sa vie ? Ou bien même respecter à la lettre un plan mis en place, sans être altéré par la peur viscérale de se faire couper en deux par un vent ou une créature ?

Oui, elle n’aimait pas spécialement Sasha pour ce genre d’attitude. Il avait ce comportement des gamins Newyorkais venus à Alticio avec des rêves plein les yeux. Ils avaient un sentiment de toute puissance, car ils construisaient de leurs mains une ville neuve, qui n’avait encore jamais existé aujourd’hui. Ils vivaient dans un paysage désolé, détruit par leurs ancêtres, mais n’avaient jamais connu autre chose que leur bulle dorée. New York les avait bercé dans l’insouciance et le mensonge. Dans un cocon parfait qui les avait épargné du danger extérieur.

Arrivés à Alticio, on avait construit en priorité des remparts et des murs pour se protéger et mettre en sécurité les colons des envahisseurs, des créatures dangereuses et des vents terribles qui continuaient à dévaster les terres environnantes. Ils ne s’étaient jamais rendus compte du nombre de Defenders qui avaient disparus lors des expéditions. Des soldats qui avaient sacrifié leurs vies pour ces scientifiques et ces personnes de bonne volonté. Donc oui, l’attitude de Sasha avait le don d’exaspérer Allson. Elle le voyait comme un gamin capricieux, irresponsable et peu honorable pour tous ces sacrifices. Il croyait vraiment que des soldats comme William ou elle même avaient du temps à perdre à former la jeunesse Alticienne ? Non. Il fallait simplement demander du renfort à l’Académie. Avoir de véritables combattants à leurs côtés. Malheureusement, Alticio dépendait encore beaucoup du dôme. Qu’on le veuille ou non.

Sasha reprit la route, se plaignant d’avoir froid à force de rester statique. Et ça voulait partir dans la nature ? Quelle bonne blague. Allson ne pu s’empêcher de pouffer de rire. Elle lui emboita le pas.

« Tu dois revoir ta façon de considérer le monde et l’importance que tu te donnes jeune homme. Franchement Sasha, regarde toi. Tu n’étais qu’un simple étudiant d’une grande ville il y a de ça 2 ans. Tu n’as jamais mis les pieds en dehors d’Alticio, hormis avec Masen. Vous avez failli y laisser votre peau. Tu n’es pas prêt. Laisse le conseil d’Alticio gérer les choses, laisse les Defenders faire leurs expéditions tranquillement. Tu ne seras qu’un boulet à trainer pour eux. Tu es utile sur les chantiers, sur le marché. Même si tu crois que ta place est ailleurs, je te jure que c’est faux. Sinon tu aurais intégré l’académie depuis bien longtemps. »

Elle avait envie de lui ouvrir les yeux, pour sa protection, mais également pour la protection des Defenders de la prochaine expédition. S’il partait avec eux, il était évident que ça allait mal se passer. Un citadin entouré de soldats, ça ne ferait pas bon ménage si les choses tournaient mal. Et aucune expédition ne s’était passée sans embuches jusqu’à maintenant.

Elle lui attrapa l’épaule, le tirant en arrière, le forçant à s’arrêter.

« Et de toute façon, je ne te laisserai pas intégrer une expédition. J’ai mon mot à dire au conseil, Lewine m’écoutera. Aucun civil ne doit participer aux expéditions. C’est trop dangereux. Pour tous. »

Ce que je redoutais arriva. Allson m’empêcherait de participer aux prochaines expéditions. Du moins, c’est ce qu’elle croyait. Bon sang, je me maudissais d’avoir parlé de ça. Quel idiot j’étais … Je savais néanmoins que je pouvais compter sur Will et Lewine, mais l’avis d’Allson pouvait basculer leurs idées en la faveur d’une ancienne force de l’ordre. Mes doigts se crispèrent encore plus dans mes poings et ma mâchoire se contractait si fort que s’en devenait presque douloureux. Elle était vraiment pénible. Elle ne m’appréciait pas et ferait tout pour me mettre à dos de Lewine. J’avais bien compris sa petite manipulation. Et si son objectif était de m’énerver au point de la frapper, puis de m’accuser de violence compulsive et de me soupçonner de meurtre, elle y arrivait presque. Mais je n’étais pas né de la dernière pluie, je savais me contenir et surtout faire abstraction de tous ces petits piques.

Je tournais ma tête dans sa direction, fronçant les sourcils exprimant clairement mon mécontentement.

- Tu fais ce que tu veux Allson. Je ne suis pas un Defenders, je le sais. Mais je ne suis pas non plus inutile. Je sais suivre des consignes, me battre, mon pouvoir peut être utile pour le transport des matériaux comme au combat. J’en ai discuté longuement avec Will avant de prendre cette décision. C’est même lui qui m’a proposé de rejoindre l’expédition. Donc si un Defenders de sa catégorie me le propose, je doute vraiment que Lewine va écouter ce que tu auras à lui dire me concernant.

Je me rapprochais d’elle, mon visage à quelques centimètres du sien. Il était évident que je la défiais du regard, comme un ennemi de toujours. Dans cette nuit glacée, elle était belle, mais froide et distante. Allson devait avoir très peu d’amis … quelle triste vie. Je compatissais dans un sens et dans un autre, j’avais juste envie de la voir disparaître de mon champ de vision.

- Au lieu de te mettre tout le monde à dos, tu devrais peut-être avouer tes sentiments pour Lewine et arrêter d’étaler ta frustration à tout le monde. Ca devient pesant. Laisse donc les gens vivre en paix ! N’aie aucune crainte me concernant, jamais je ne deviendrais le bras droit de Lewine, jamais je n’intègrerais le conseil. Ca ne m’intéresse pas. Alors pourquoi me craindre et me foutre des bâtons dans les roues ? Pourquoi m’accuser de tous les maux dès que t’en a l’occasion ?

Je pivotais sur mes talons dans l’espoir qu’elle me fiche la paix une bonne fois pour toute. J’avais mille autres choses à penser et à faire qu’essayer de m’expliquer sur mes intentions et mes envies d’aider la communauté.

- Alitico a besoin d’une enquête concernant un crime, pas d’une personne qui veut empêcher le bien pour la communauté de se faire. Il est tard, tu devrais rentrer chez toi …

J'aurai peut-être du lui parler avec un peu plus de respect. Après tout elle restait une Defenders et une enquêtrice. Moi je n'étais qu'un simple citoyen d'Alticio qui ne l'appréciait pas. M'enfin ... elle ne pourrait pas me coffrer pour si peu. Surtout que demain j'avais un gros chantier qui m'attendait : La salle du conseil.