La nuit était étrangement froide. Du moins plus froide qu'à l'ordinaire. Pylos restait camouflé derrière un buisson épais, regardant les remparts au loin. Alticio dormait à point fermé et pourtant les tours de gardes ne cessaient de s'enchainer. A croire qu'ils s'attendaient à une attaque. Quelqu'un aurait-il averti Lewine que la Horde souhaitait s'infiltrer ? Probablement, mais qui ? Pylos avait totalement confiance en Luke. Il était un espion et ne prendrait jamais partie pour Alticio. C'était un gars fidèle et il savait très bien ce qui lui arriverait s'il trahissait la confiance que Pylos portait en lui.

Qu'importe, il était là pour tester Jasmine, pour voir ce qu'elle avait dans le ventre. Avant qu'elle ne rejoigne la Horde pour la prochaine attaque qu'il avait en tête, il se devait de voir s'il pouvait lui faire confiance et surtout si elle n'allait pas mettre en danger les compagnons de la Horde. Bien sûr, Pylos souhaitait voir son équipage s'agrandir, mais il n'était pas prêt à prendre n'importe quel risque. Jasmine n'était pas prisonnière, elle pouvait reprendre la route et errer toute seule dans la Zone Extérieure, à ses risques et périls. Mais elle n'était pas aussi idiote et il savait qu'elle se raccrocherait à la Horde malgré tout.

Elle se trouvait à quelques mètres de lui, planquée derrière un autre buisson touffu. Leur position ne permettait pas aux gardes de les repérer. L'objectif était de pouvoir entrer dans Alticio sans se faire repérer ou réveiller toute la populasse par un lancement d'alerte. Même si ce genre de cas arriverait, Pylos saurait régler la situation avec Lewine. Mais il laisserait Jasmine dans une merde sans nom, histoire qu'elle apprenne de ses erreurs. Il ne l'abandonnerait pas, mais lui ferait comprendre que les expéditions n'étaient pas à prendre à la légère. Avec son pouvoir, elle ne devrait pas avoir trop de mal à gérer l'exercice. Mais encore faudrait-il qu'elle le maitrise parfaitement.

Dans un petit geste bref, Pylos lui indiqua qu'elle pouvait avancer vers les remparts et essayer de pénétrer de l'enceinte de la ville. Allait-elle réussir ? Il était impatient de le découvrir.

J'avais la trouille. Ouais ... une peur tentaculaire se propageait dans mon ventre et finissait dans ma gorge. C'est en déglutissant péniblement que je quittais le Manoir, seule avec Pylos, pour prendre la route vers Alticio. Je savais qu'il s'agissait d'un simple exercice, mais bordel ... j'avais peur. Peur de me retrouver seule avec le Maitre des Vents et peur d'échouer. Peur d'un avenir complètement incertain et de l'exercice qu'il allait me demander. Pourquoi étais-je la seule ? Pourquoi ne me faisait-il pas confiance ? Parce que moi même je n'avais pas confiance en lui. Je l'avais dit à Daren, que je me sentais prisonnière dans cet endroit et que l'envie de retourner au Dôme me prenait parfois. Mais était-ce raisonnable ? Comment allait-on m'accueillir là bas ? Comme une espionne, une traitresse ... ou même une malade. Je redoutais mon retour au dôme, car je savais que je n'avais aucune importance à leurs yeux. Sinon ils ne m'auraient pas laissé moisir pendant des années dans le bidonville.

Le Manoir s'éloignait derrière moi pour finalement disparaitre totalement dans la pénombre de cette nuit glaciale. Pylos marchait devant, sans un mot, depuis plus d'une heure maintenant. La tension était palpable et je n'osais rompre ce silence de mort qui nous séparait. Je ne savais absolument pas ce qu'il avait en tête et ce qu'il comptait faire de moi. Maira avait essayé de me rassurer la veille en me disant qu'il avait toute sa tête. Qu'il avait reprit des forces et que son pouvoir l'avait stabilisé. Car oui, ce qui me foutait les jetons c'était son instabilité, sa folie, son manque de tact.

Après de longues heures de marches, mes jambes fléchirent devant l'imposante muraille de bois qui se dressait face à nous. Alticio ... je n'y avais jamais mis les pieds, je n'avais qu'entendu quelques informations sur cette ville sortie de nulle part. Je savais que Jarod m'avait quitté pour vivre là, derrière ces remparts. Une partie de moi était en colère et voulait pénétrer dans la ville pour retrouver cet homme qui m'avait profondément blessé. Une autre partie me disait de faire demi tour, de fuir, de courir le plus loin possible sans jamais me retourner.

Pylos me fit signe de me baisser et de m'accroupir derrière un buisson. Dans la pénombre de cette nuit particulièrement noire, il était impossible pour les gardes de nous repérer de là où nous étions. Mon coeur battait la chamade, si fort que j'avais l'impression que ma cage thoracique allait exploser. Les secondes s'égrainèrent, puis au moment même où je tournais mon regard vers Pylos, il me fit signe d'y aller.

Bordel, bordel, bordel ...

Maintenant ? Mon esprit était confus, embrouillé par l'angoisse et la peur de me faire repérer. Je n'étais pas certaine de savoir utiliser mon pouvoir parfaitement. Ou même de mettre à mal les gardes s'ils me repérer. Il fallait que je les observe au mieux pour éviter de croiser leur regard et de faire sonner l'alerte. Je courus dans l'obscurité alors qu'ils marchaient tous deux à l'opposé. J'arrivais enfin au pied des remparts, le souffle coupé, le dos plaqué au mur. Tous mes membres tremblaient tant la peur me tétanisait. Je regardais en haut vers les tours de guet, les hommes ne m'avaient pas vu. Bien ... maintenant il restait à faire le plus difficile, entrer dans la ville sans me faire repérer. Pylos allait-il m'aider ?

Pylos n'avait encore jamais fait passer ce genre de test à ses disciples. Tout simplement parce qu'il les avait vu à l'oeuvre, qu'il avait étudié l'étendue de leurs pouvoirs et savait à quoi s'attendre. Concernant Jasmine, c'était une toute autre histoire. Elle lui avait dit avoir la capacité d'altérer la réalité. Peut-être avait-elle déjà testé son pouvoir sur le Maitre des Vents, mais dans ce cas l'efficacité de son pouvoir était minime. Il avait besoin d'un élément fort et solide. Quelqu'un qui ne flanche pas, qui ne rebrousse pas chemin dès la première difficulté venue. Alors oui, il fallait tester les capacités de Jasmine. Car même si Pylos se montrait main charitable à sauver toutes ces âmes en peine dans le désert, il n'allait pas encombrer la Horde de personnes incapables.

Elle filait dans l'obscurité entre le bosquet et le pied des murailles tel un félin. Pour l'instant tout allait bien. Pas l'ombre d'un doute, la jeune femme était habile et se montrait plutôt discrète. La lune était haute dans le ciel, grande et ronde. Le ciel était parfaitement dégagé. Pour les gardes d'Alticio, ce temps était idéal pour repérer le moindre mouvement à plusieurs mètres de distance. Ils pouvaient sonner l'alerte à tout moment s'ils jugeaient quelque chose de suspect à l'approche des portes. Jasmine avait réussi son premier coup et Pylos était plutôt satisfait de la performance. Mais il n'en restait pas moins curieux de voir comment elle allait se débrouiller pour la suite.

La voilà au pied de la muraille. Maintenant il était question de grimper et de pénétrer dans l'enceinte de la ville nouvelle. Allait-elle y parvenir sans déclencher une alerte générale ? Voyant son hésitation à continuer le test, Pylos lui fit un signe de la tête indiquant qu'elle pouvait y aller. La voie était libre.

Comment allait-elle gérer ? Quel moyen utiliserait-elle pour pénétrer dans Alticio ? Pylos observait dans l'ombre avec des yeux de serpent. Comme à l'affut d'une proie, prêt à bondir.

Me voilà au pied de la muraille d'Alticio. Je lève les yeux vers le ciel. Fais chier, le ciel est dégagé, la lune est claire. Je suis facilement repérable. A mon avis, Pylos n'a pas choisi ce test pour rien. Je vais devoir user de ma capacité contre les gardes. Altérer leur réalité. Mais qui aurai-je en face de moi ? Je doute que les gardes aient des pouvoirs basiques. Mon coeur bat la chamade et je maudis presque cette idée stupide que Luke a eu d'avoir parlé au Maitre du Vent. Finalement, j'étais bien au Manoir. Les expéditions pouvaient attendre...

Mais au fond, je savais qu'un jour ou l'autre ce moment allait arriver. Pylos avait besoin de mon pouvoir pour pénétrer l'enceinte du dôme. Comme me l'avait dit Daren, il ne choisi pas de vous sauver par bonté de coeur. Il y trouve toujours son compte. Ce mec me donnait la gerbe. Parfois je regrettais mon choix d'avoir suivi Jarod en toute discrétion. J'aurai simplement du l'accompagner dans le pèlerinage pour Alticio et ne pas être aussi arrogante. Mais bon, à l'époque j'y croyais moyennement. Alticio était pour moi une ville test, sans avenir possible et encore moins pour une chanteuse de mon genre. J'avais toutes mes chances de réussites et de succès à New York. Pas dans une ville en construction pour y chanter des chansons de country autour d'un feu. Ce n'était pas ça mon rêve.

Jarod m'avait expliqué clairement ses intentions et je n'avais pas su l'accepter. Mais il avait été trop dur de le voir partir loin de moi. Alors j'ai agit sans réfléchir et j'ai embarqué clandestinement dans l'un des fourgons du pèlerinage. Voilà pourquoi j'en suis ici aujourd'hui. Parce que ce fourgon n'est jamais arrivé à destination. Je revoyais les corps déchiquetés des conducteurs, comme à chaque fois que je repensais à ce moment. La peur tentaculaire qui m'avait envahie quelques minutes plus tôt, venait de laisser place à une sorte de nausée.

Je tournais le regard vers Pylos qui se trouvait camouflé dans le bosquet. Le voyant à peine, je ne savais pas s'il me disait d'y aller ou d'attendre encore un peu. Il avait un meilleur visuel que moi concernant l'attention des gardes. Bon, je n'allais pas attendre une éternité ici non plus, surtout qu'en restant statique, je commençais à avoir froid. La muraille était haute, mais je n'avais pas le vertige. L'escalade n'a jamais été mon truc. Pylos m'avait fourni un matos particulier, presque une technologie de pointe. Je me demandais où est-ce qu'il avait pu dégoter un truc pareil. C'était une ceinture avec un bouton conséquent sur lequel il me suffisait d'appuyer pour qu'il en sorte une corde noire, fine et solide. Le harpon au bout de la corde s'ouvrait et se fixait à la paroi, tout en calculant la hauteur et le distance. Je n'avais rien à faire, hormis tirer sur le corde et grimper.

A mi chemin, j'observais les gardes. Ils ne me voyaient pas. L'épais feuillage d'un arbre camouflait ma présence. Mes bras me lançaient et plus je grimpais, plus je ressentais le poids de mon corps attiré vers le bas. Foutue gravité.

Après quelques efforts, j'arrivais sur la muraille. Mon coeur battait si fort que j'avais l'impression d'exploser à tout moment. Le stress pouvait me tétaniser sur place. Alors je serrais les poings et pris mon courage à deux mains. Je n'avais pas le choix de me confronter aux gardes pour emprunter les escaliers qui menaient vers la ville. Je devais donc agir vite, avant eux, pour ne pas subir les dégâts de leurs pouvoirs, ni même leur laisser le temps de sonner l'alerte. Le premier garde était un homme brun, grand, costaud, le visage couvert d'une barbe noire hirsute. Il était plutôt mignon. Avant qu'il n'ai eu le temps de comprendre quoique ce soit, je positionnais mes mains en avant pour altérer sa réalité. Ne le connaissant pas, je ne pouvais pas jouer sur ses peurs ou ses craintes. Alors il ne verrait devant lui qu'un simple oiseau. Un corbeau.

L'homme passa devant moi, le regard las et fatigué. Il n'avait pas prêté attention à cet oiseau qui venait tout juste de se poser devant lui. Ouf, un sur deux. Je devais maintenant m'attaquer à l'autre. Mon pouvoir m'affaiblissait et je ne savais pas si c'était une si bonne idée que ça de ne pas avoir joué sur les peurs du premier garde. Il pouvait revenir sur ses pas et je serais prise entre deux gardes ... faite comme un rat. Je déglutissais difficilement et approcha le second garde avec la plus grande discrétion. Son regard était porté vers l'horizon, il ne se doutait absolument pas qu'un ennemi viendrait par derrière.