Mes pensées étaient chamboulées ces derniers temps. Entre Will qui était revenu vers moi pour me proposer d'intégrer à nouveau les équipes d'expédition et le retour de Tyler plus qu'intriguant, je ne savais plus où trop donner de la tête. J'essayais pourtant de me focaliser sur l'essentiel. Les cultures. Le froid mordant de l'hiver faisait chuter les températures et le sol devenait de moins en moins facile à travailler. J'avais beau arroser avec une eau chaude et user mes outils, les cultures se montraient bien moins vigoureuses. Ce n'était pas le premier hiver à montrer triste mine. Les stocks de l'année dernière étaient planqués dans les grands hangars qui se situaient derrière les remparts, et si j'avais de quelconques difficultés à produire, je savais qu'on pouvait puiser dedans.

En soit, ce n'était pas un réel problème. Mais je préférais angoisser là dessus, plutôt que sur des relations humaines. Au moins, avec les plantes, les émotions ne me submergeaient pas. Après une dure journée de labeur, je finis par ranger mes outils et rentrer dans la ville. Mes muscles étaient perclus d'ankyloses à force de travail et je saluais d'un simple signe de tête mes collègues qui s'en allaient chez eux. J'avais hâte de retrouver ma tranquillité.

Mais ce ne fut pas sans compter sur Tyler. Je l'observais au loin, à quelques pas de sa nouvelle maison qui lui fut assignée à son retour. Sa soeur, que je ne connaissais pas encore, venait tout juste d'intégrer la colonie. Il lui fallait une plus grande maison s'ils voulaient vivre ensemble. Et vu ce qui s'était passé, Tyler devait être surveillé. Le pauvre ... je compatissais et je comprenais son acte. Avec la mort de son père, il avait du mal à vivre une vie paisible. Je m'étais habitué à sa mine déconfite. C'était un peu mon petit apprenti à qui j'ai tout appris. Au fond, il était un peu comme le fils que je n'aurais jamais.

Ca faisait presque deux semaines qu'il était rentré à Alticio après sa tentative de suicide et je n'avais pas pris la peine de lui rendre visite. J'avais trop peur que mes émotions me submerges à nouveau et qu'elles prennent le dessus sur la raison. Mais là, je devais les affronter pour le bien de mon ami. Qui est-ce que j'étais pour le laisser sans nouvelles après un tel évènement ? Je marchais dans sa direction et le salua d'un bref signe de tête. Je n'étais pas franchement tactile et il me connaissait assez bien pour ça. Un petit sourire se dessina au coin de mes lèvres. Le jeune homme paraissait perdu, un large sourire aux lèvres. Ca ne lui allait pas vraiment. Septique, je ne pus m'empêcher de lever un sourcil circonspect devant son allure. Il avait drôlement changé. Qu'est-ce que le Dôme avait-il fait de lui ? Encore une expérience des scientifiques travaillant à la botte du Concile des 13 ? Je serrais les poings, puis posa une main amicale et inquiétée sur l'épaule de Tyler.

- Salut l'ami ! Tu vas bien ?

J'avais un peu honte de moi, venir vers lui aussi tard. Je n'aurai pas apprécié la chose si Tyler avait agit de la sorte. Mais je n'avais pas à me mettre à sa place. J'inspirais profondément, prêt à lui balancer mes excuses aussi douteuses soient-elles.

- Désolé ... j'aurai du venir plus tôt. Mais tu sais comment ça marche l'agriculture. Avec ces températures froides, j'ai eu des journées très compliquées et très longues. Mais me voilà ! Dis moi, tu vas bien, tu es sûr ?

J'avais vécu des choses terribles, mais jamais me donner la mort m'avait traversé l'esprit. Je me doutais que Tyler n'allait pas bien et qu'il était probablement suivi psychologiquement pour ne pas sombrer à nouveau. Mais je voulais surtout lui montrer que j'étais là et que cette fois-ci je n'allais pas l'abandonner comme la dernière fois.

C’était dur, très dur depuis son retour à Alticio. Il gardait le cap, essayait de sourire, mais à l’intérieur quelque chose semblait être absent, détruit. Et Tyler n’arrivait pas à mettre la main dessus. Sa sœur savait forcément quelque chose. Son regard, parfois, trahissait ce qu’elle pensait. Mais pourtant Tyler s’efforçait de ne rien dire, de ne pas poser de questions. Parce qu’au fond, il avait trop peur d’en connaître les réponses. Alors il préférait laisser la place au temps, dans le maigre espoir que les choses passent. Que la douleur finisse pas s’estomper.

Il déambulait tel un fantôme dans les rues d’Alticio. Il aurait pu mettre la main à l’ouvrage. Parce que depuis quelques temps les expéditions s’enchainaient et que les hommes et femmes volontaires manquaient à l’appel sur les chantiers. Mais Tyler n’était clairement pas au milieu de sa forme. Porter un outil entre les mains n’était pas recommandé et les médecins avaient affirmé qu’il devait rester éloigné de toute forme d’objet pointu. Quoi ? ils pensaient sérieusement qu’il retomberait dans ses travers ? Et puis ce n’était pas le genre de la maison. Tyler était plutôt dirigé vers les champignons …

Il se contenta de vaquer dans les rues de la nouvelle ville sans but précis. Juste observer d’un air hagard ce qui l’entourait. Juste pour se rappeler, pour faire travailler cette mémoire désuète. Puis, contre toute attente, une main vint se caler sur son épaule. Tyler sursauta, puis tourna la tête vers la personne qui venait perturber sa rêverie. Jarod … Son visage s’éveilla, pour finalement sombrer rapidement dans un air blasé. Il lui demandait si tout allait bien. Est-ce que c’était la bonne question à poser ? Certainement pas. Tyler se contenta de hausser les épaules comme réponse.

Jarod enchaina en s’excusant. Il disait qu’il aurait du venir plus tôt, mais qu’à cause de l’agriculture et des températures trop basses, il n’avait pas pu se libérer. Tyler tourna son regard vers les murailles de la ville. Il savait qu’au dehors se trouvait les cultures que maintenait Jarod.

« Oui oui, je vais bien … enfin mieux. »

Quel mensonge. Mais Tyler n’avait pas envie d’inquiéter son vieil ami. Il se contenta d’avancer vers une destination inconnue, reniflant bruyamment.

« Tes cultures se portent bien ? Pas trop de soucis avec ce froid ? »

Soudain Tyler se rappelait qu’il avait dû aider Jarod dans les champs juste avant de sombrer et de séjourner à l’hôpital. Il ne connaissait plus les raisons de sa tentative de suicide … mais il se rappelait qu’il travaillait pour Jarod. Et là, il se sentait terriblement nul de n’avoir même pas eu l’intelligence d’être venu voir les récoltes. Il grinça des dents avant de se tourner vers l’homme au visage buriné et passa une main gênée dans ses cheveux courts.

« Désolé … je rentre de New York et je n’ai même pas pris le temps de venir te voir sur le terrain. Tu galères pas trop sans moi ? Je sais pas encore si je suis apte à venir t’aider … du moins, pour le moment. Il faudra attendre quelques semaines encore, d’après les médecins. »

Il me faisait vraiment de la peine. C’était tout juste si je le reconnaissais. Je me rappelais encore très bien du Tyler volontaire qui souhaitait tout apprendre sur les plantes et les cultures. Je me rappelais d’un garçon au sourire franc et sincère, qui n’hésitait pas à mettre la main dans la terre, qui s’octroyait du temps à l’écoute des conseils et qui les appliquait à la perfection. J’étais content de le voir ici, à Alticio, en vie. Mais il y avait quelque de changé en lui. Son regard blasé trahissait des tracas encore présents. Et je m’en voulais tellement de ne pas avoir vu les signes avant coureur …

Je marchais à ses côtés, ne croyant pas un traitre mot de ce qu’il me disait. Il n’allait pas bien. Ca se voyait comme un point au milieu de sa figure. Je n’étais pas son père, ni son frère. Alors je n’avais rien à dire. Pourtant, l’envie de le secouer par les épaules me prenait de plus en plus. Il n’avait rien de dramatique dans sa vie pour en venir à manger des champignons toxiques ! C’était dingue quand même. Alticio était une ville magnifique où justement on aspirait à la vie, au renouveau, à la renaissance de l’humanité. Je soupirais. Il fallait que je lui montre mon soutien, même si sa présence dans les champs m’aurait été d’une grande aide.

« Non ça va. J’ai vu avec Lewine pour la sauvegarde des récoltes. On arrivera à gérer la situation. Ce qui est le plus préoccupant pour Alticio maintenant, ce sont ces mines de pierre bleues. »

Il y avait tant de choses à faire, à protéger ou à améliorer. Alticio débordait d’énergie novatrice et j’osais espérer que des hommes comme Tyler y mettent du sien. Parce qu’il était la nouvelle génération et que la mort ne résolvait rien. Surtout pas ici. On avait besoin de bras et de têtes bien faites. Et ce gamin en faisait parti. Du moins, à mon sens.

« Ne t’excuses pas. Tu as vécu un lourd traumatisme. Si les médecins jugent qu’il te faut du temps, alors prends le. Balade toi dans Alticio, observe, et vois comment la vie se tourne vers un meilleur avenir. »

Je lui souris avec bienveillance, tout en tendant le bras vers des hommes et femmes en train de travailler sur un chantier.

« Les récoltes ont bien poussé. J’aurai voulu que tu sois là pour voir ça. Et puis maintenant j’ai une aide secondaire. Louise … elle m’aide de temps en temps et travaille son pouvoir avec Will. Quand tu reviendras je te la présenterai. Elle est très utile pour la croissance des plantes. »

Je plongeais les mains dans mes poches, puis m’arrêta un instant. Un sourire en coin se dessina sur mes lèvres gercées par le froid.

« Tu nous manques Tyler. J’espère que tu vas sortir de cet état … et retrouver la personne que tu étais avant. »